Architecture Suisse

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BELICE, ARCHIPEL DE L'INNOVATION

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La Sicile est une terre d’innovation ! Ce qui peut sembler une exclamation inhabituelle, voire utopique, est la reconnaissance des nombreuses pratiques qui non seulement génèrent la culture et l’innovation sociale, mais poursuivent également la création de nouvelles économies avec une approche entrepreneuriale innovante. Un vaste archipel d’innovateurs culturels, de stratèges sociaux, d’entrepreneurs hérétiques et d’administrateurs courageux émerge en Sicile, générant de nouvelles places dans les villes, des utopies urbaines et des avant-gardes d’un avenir meilleur.

Onze ans se sont écoulés depuis la première expérience, devenue une solide réalité internationale, du Farm Cultural Park qui a fait de Favara un lieu pluriel et plein de vitalité humaine. Andrea Bartoli et Florinda Saieva, ainsi qu’une communauté élargie d’innovateurs, ont transformé les ruines en un centre culturel indépendant, une école d’architecture, une biennale internationale sur les villes et un site de festival d’architecture. Depuis cette étincelle, beaucoup d’autres villes ont trouvé le courage d’oser, et il y a des centaines d’expériences culturelles, de visions sociales et d’hérésies entrepreneuriales en Sicile. Toutes nous montrent clairement que le temps du développement local assisté, des projets qui durent le temps d’une flamme, est révolu, et qu’il faut un nouveau paradigme de développement basé sur le capital culturel, social et territorial et sur la force créative de la nouvelle génération de capital humain.

Dans cet esprit, avec Mario Cucinella et d’autres designers, nous avons abordé l’avenir possible du Belìce (zone au sud de Palerme), à partir de Gibellina, du Théâtre inachevé, désolé, mais puissant, de Pietro Consagra : témoin muet d’un échec, mais aussi voix puissante d’une possible rédemption pour une communauté née sur les décombres d’un tremblement de terre et développée grâce à l’énergie de l'architecture et de l'art contemporains.

Cinquante-trois ans se sont écoulés depuis cette nuit tragique du 14 janvier 1968 où un tremblement de terre a enseveli des gens, des maisons et des espoirs. Le tremblement de terre a révélé à l’État italien le sous-développement des terres intérieures de la Sicile, mais la réponse a été un « non-urbanisme » fait de théories et de schémas, sans écoute des communautés. Une reconstruction musculaire et superficielle qui a construit des espaces qui sont souvent restés muets, des présences inhabitées.

Il y a cependant un autre présent que le Belìce connaît aujourd’hui ; ce n’est plus seulement un lieu de mémoire douloureuse, mais un territoire en quête de communauté, plein d’excellence et vibrant de questions qui veulent devenir des projets. Un archipel de 14 villes qui lutte contre un des taux de chômage les plus bas d’Italie, avec une population qui diminue et vieillit, mais qui est aussi un territoire riche en agriculture de qualité, avec de nombreuses marques d’excellence dans le secteur viticole, avec un patrimoine désaffecté qui offre de nouvelles opportunités et avec de nombreuses architectures contemporaines qui demandent à avoir un nouveau rôle.

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PROJET DU BUREAU AM3 POUR LE THÉÂTRE INACHEVÉ DE PIETRO CONSAGRA

En partant de cette vision, j’ai développé avec mon équipe de recherche à l’Université de Palerme (Barbara Lino et Federica Scaffidi) le projet stratégique exposé au Pavillon italien de la Biennale d’architecture de Venise 2018 (dont le commissaire était Mario Cucinella), qui reprend les batailles politiques et culturelles des années 1960 pour donner à ce territoire résilient un projet d’avenir qui intègre une agriculture de qualité, l’architecture et l'art contemporains, des pépinières numériques, des châteaux et des villages médiévaux, des systèmes muséographiques étendus, des paysages viticoles et des caves. Une stratégie polycentrique et réticulaire composée de trois actions systémiques qui hybrident les différents potentiels et vocations, en identifiant des épicentres pour chacun : agriculture et innovation des entreprises (Gibellina et Partanna), villages et tourisme rural (Menfi et Sambuca), patrimoine et créativité (Salemi et le vieux Poggioreale). Un scénario réel concrétisé par le projet puissant et visionnaire de réactivation du Théâtre inachevé de Pietro Consagra, élaboré par le Studio AM3 (Marco Alesi, Alberto Cusumano, Cristina Calì, avec la consultation de Peppe Zummo, Vincenzo Messina, Massimo Alvisi, Land et Antonella Agnoli), proposant un « Laboratoire territorial » pour faire de la formation-recherche-action une partie intégrante du processus de développement d’une ville-territoire de 80'000 habitants.

La Sicile, qui se veut une terre d’innovation, ne peut se limiter aux nombreuses expériences, mais doit activer des actions systémiques qui en augmentent la portée et l’impact. Ce qu’il faut donc, c’est la conscience d’être un écosystème (et non plus une exposition de solistes extraordinaires), une nouvelle stratégie de collaboration public-privé et une approche perturbatrice qui détruise le conformisme des choix et l’inertie des comportements qui ralentissent notre développement.

Aux innovateurs siciliens, je dis : soyez éthiques et hérétiques, telluriques et reconstructeurs, visionnaires et pragmatiques, designers et artisans. Mais surtout, être le présent différent et non plus seulement un avenir rêvé.

Prof. Maurizio Carta