Une ressource sous pression
Dès les premiers établissements humains, la confrontation ambivalente à l’eau s’est imposée comme un thème incontournable pour les acteurs du bâti. D’un côté, elle constitue une ressource vitale, qui a favorisé la proximité des édifices avec des sources, des cours ou des étendues d’eau. De l’autre, elle représente simultanément un risque à prévenir, lorsqu’il s’agit de se protéger des crues ou, à plus petite échelle, d’assurer l’étanchéité d’une façade ou d’un toit.
Des aqueducs romains aux barrages alpins, l’histoire regorge d’exemples d’infrastructures remarquables d’ingéniosité et d’élégance. Des réservoirs voûtés aux centrales hydroélectriques, de multiples édifices représentent des témoignages mémorables de la modernité et font partie intégrante de notre culture du bâti. Des bains lacustres aux arteplages de l’exposition nationale au Pays des Trois-Lacs, de multiples réalisations architecturales révèlent le caractère inspirant d’une interaction directe avec la dimension aquatique. Au-delà de ces exemples emblématiques, qui démontrent que l’eau peut être une véritable source d’inspiration pour l’architecture, force est de constater qu’elle est aussi omniprésente comme simple composante des processus de construction. Son usage abondant tend alors à être plutôt banalisé, sans volonté de réelle valorisation.
A l’heure de l’urgence climatique, la gestion de l’eau représente pourtant un enjeu grandissant. Même si la Suisse conserve son statut de « château d’eau de l’Europe », l’eau potable n’en demeure pas moins une ressource précieuse, qui ne saurait être gaspillée. D’autant plus qu’elle subit une pression exacerbée par le dérèglement climatique, qui augmente tant les risques de crues que la fréquence des épisodes de sécheresse. L’architecture n’échappe pas aux questionnements qui en résultent. C’est pourquoi elle s’inscrit aujourd’hui dans une recherche de résilience accrue face aux risques et de sobriété dans le recours aux ressources naturelles.
Par une approche se situant à différentes échelles d’intervention – des quartiers en transition aux détails constructifs – le projet architectural entretient une relation dialectique avec les enjeux écologiques. D’un côté, il est à même d’apporter – par sa force de proposition – une contribution significative aux mutations territoriales en cours, en particulier celles qui visent à répondre aux principaux besoins de la société avec peu de ressources et d’impacts. De l’autre, ces défis constituent simultanément une véritable « matière première », au sens conceptuel du terme, pour repenser certaines de ses modalités intrinsèques.
Au niveau des visions urbaines, la régénération des sites intègre aujourd’hui la recherche de nouveaux équilibres et la mise en oeuvre d’interactions plus en harmonie avec le cycle naturel de l’eau, en particulier par la multiplication des surfaces perméables, la création de maillages fertiles ou la réinvention des rives urbaines. En tant que condition indispensable à la végétalisation, cette évolution devient véritablement cruciale pour l’adaptation des villes au réchauffement climatique.
Lors d’intervention dans l’existant ou d’édification de nouveaux espaces bâtis, l’intégration de dispositifs écologiques peut permettre de multiplier les moyens de rétention des eaux pluviales, tout en favorisant en parallèle des cycles de récupération pour limiter les besoins en eau potable. Le recours prioritaire à la construction à sec et la préfabrication en atelier permettent de surcroît de limiter les besoins d’eau sur les chantiers et de stimuler l’invention de nouveaux modes constructifs intégrant simultanément des principes de sobriété, d’efficacité, de circularité et d’adaptabilité.
Emmanuel Rey
Professeur EPFL / Directeur du Laboratoire d’architecture
et technologies durables / Associé du bureau Bauart,
Berne / Neuchâtel / Zurich
Chèr.e.s lectrices et lecteurs de AS,
Je suis très heureux de vous présenter ce numéro thématique « h20 ». Sur l’eau, sous l’eau, avec l’eau et par l’eau.
Nous ne proposons pas de solutions miracles aux problématiques que nous affrontons et devrons affronter. Nous avons sélectionné artistes, ingénieurs et architectes qui ont, dans les projets présentés ici, su honorer et respecter l’eau – la matière de base de notre vie. Il s’agit de projets qui se trouvent en Suisse et de quelques projets internationaux.
Beaucoup ont écrit et écriront sur le thème. La réflexion par l’action – urgente – est en marche. À vous et nous, bâtisseurs et citoyens, la responsabilité de construire et vivre différemment pour le monde de demain, pour nos enfants, pour notre civilisation.
Un grand merci aux nombreuses personnes brillantes qui ont participé à ce numéro :
Emmanuel Rey, Ariane Wavre & Martine Laprise, Patrick Moser, Salvatore Aprea, Barbara Tirone, Tiffanie Paré, Nicola Navone, Jachen Könz, Ziu Bruckmann & Daniel Weiss, Antonio Gallina et Jean-Claude Frund, Marie Griesmar, Georges Steinmann, Diana Lelonek, Charles von Buren, Giordano Tironi, Sébastien Meylan, Ben Thouard, Cornelia Schwierz, Simon Scherrer, Tullia Iori, Luciano Cardellicchio, Yves Bach & Floriane Guex, Vincent Jendly, Philippe Weissbrodt, Michel Bonvin, Daisuke Hirabayashi, Ruedi Walti, Freia Vergauwen, Oriana Venti, Alain Porta, Enrico Sassi, Ueli Brauen & Doris Wälchli, Séverine Moser, Yves Dreier, le bureau Ingeni, Gex & Dorthe ingénieurs et Marie Vilardi, avec sa splendide couverture pour ce numéro : « Terre-Mer (Mumbai 3) », 2016, crayon et aquarelle sur papier, 56 x 76 cm, photo C.Cortinovis. www.marie.velardi.ch