Architecture Suisse

LIBRE

Prix Interassar 1980

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Dans cette nouvelle page qui devrait paraître dorénavant dans chaque numéro d1AS nous tenterons, par des articles criti­ ques, d'élargir la portée de 1'information que nous apportons avec nos fiches. Dans cette première livraison, Jacques Gubler, chargé de cours à l'Ecole d'Architecture de l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, a bien voulu rédiger un texte permettant une approche plus complète de la Maison Blaser à Prangins réalisée par Vincent Mangeat. L'architecte luimême témoigne de sa recherche. D'autres chroniques, présentation de livres et revue, etc. feront le sommaire de cette nouvelle AS Werci de nous faire part de vos idées.

LECTURE ENTRE LES LIGNES Soit une situation typique de la pratique courante dans le canton de Vaud : construire une maison indivi­ duelle en un terrain catalogué "zone de villas", à la périphérie d'un village branché sur 1'autoroute. Le règlement communal pose, en matière d'architecture, un certain nombre d'exigences, d'ailleurs coutumières du "paysage local" contemporain : implantation en retrait des limites de propriété (cette phobie de l'ordre con­ tigu confine à l'éloge du coîtus interruptus) calcul des surfaces et hauteurs à l'intérieur de fourchettes ad hoc, interdiction de la tôle, du toit plat et du "genre chalet", toutes dispositions devant garantir miraculeusement et logiquement 1'"intégration" au site et l'harmonie villageoise. ^ Ce type de règlement entrave-t-il 1'actuelle archi­ tecture domestique vaudoise et encourage-t-il à la mé­ diocrité ? Au point que la canton de Vaud serait devenu le pôle négatif du Tessin (ou du moins de ce Tessin in­ venté par le catalogue bleu de l'exposition zuricoise) ? Cette question est montée à certaines lèvres lausan­ noises l'été dernier, lorsque la FA S tessino'ise rendit visite à la FAS romande. Question insidieuse ! Ne sousentend-elle pas que la liberté d'expression règne au Tessin et que cette liberté suffit à provoquer des résul­ tats de qualité supérieure ? "En réalité des Tessinois tels que Carloni, Galfetti, Snozzi, Campi, Botta, Durisch, Reichlin & Reinhart (et l'on pourrait en citer d'autres, mais il faudrait d'abord les ressortir de ce panier uni­ que de la "tessinité" qui, aujourd'hui ne signifie plus rien) posent des questions dont les Vaudois, qui eux s'interrogent sur 1'"intégration" de 1'architecture, ne savent que faire. Quelles questions ? Mise en cause de 1'antinomie ville-campagne, rejet de 1'opposition mo­ dérai té-antiquariat , interrogation des modèles typolo­ giques, confrontation personnelle aux "monstres sacrés" de 1'architecture, confiance en la valeur génératrice et synthétique de la géométrie, affirmation de la spé­ cificité du construire en apposition à la nature, pra­ tique quotidienne de la polémique, tels seraient quel­ ques traits saillants de l'identité théorique tessifcnoise. Dessinée en 1978, construite en 1978-1979, issue d'un budget inférieur à 340'000 francs (terrain non compris) et destinée à 1'habitation d'un couple, la maison Blaser propose des éléments de discussion intéressants. Non seu­

lement 1'architecte accepte-t-il les contraintes du rè­ glement communal, mais il cherche même à en tirer parti. Ainsi la philosophie du mimétisme rural conduit-elle à travailler d'abord le rapport de voisinage avec le bâ­ timent agricole implanté à l'ouest. On postule que la mai­ son inscrira désormais la limite du village. Il ne s'agit en aucun cas d'un morceau d'architecture d'accompagnement, mais bien de 1'articulation plastique de masses en sil­ houette. L'habileté consiste à faire coller cette volumétrie à un répertoire de figures toutes personnelles à l'archi­ tecte. Quelles sont ces figures ? d'abord 1'organisation longitudinale (nord-sud) du bâtiment selon un rythme de travées et d'intervalles harmoniques. L'écartement x de la travée correspond à dix pieds. Cette échelle de divi­ sion installe la construction mixte de la maçonnerie et de charpenterie, adaptée aux performances des petites entreprises locales. La maison se compose de compartiments juxtaposés. Une deuxième figure est celle de la confron­ tation bilatérale (est-ouest) entre un "mur épais", scandé de niches aveugles - visualisation extérieure de la travée - et un mur ouvert, ponctué de piliers lamelli­ formes. Le même architecte utilise d'ailleurs la même fi­ gure lorsqu'il construit une maison pour deux familles (en rangée"Back to back") autre interprétation astucieuse des règlements communaux vaudois. Le "mur épais" se place alors en mitoyen, assurant une zone tampon destinée aux services, renfort théorique de 1'intimité respective des deux habitations. Dans le cas de la maison Blaser, les niches-contreforts de la façade orientale connotent 1'iden­ tité rurale du bâti, rôle dévolu identiquement au pignon nord. L'historien sera-t-il surpris de reconnaître dans ces deux figures, la travée et le mur épais, la réinterpréta­ tion personnelle de deux composantes du gothique ? Cette surprise se rapporte à l'habileté consommée, à la lucidi­ té et, sans doute, à la culture personnelle de 1'architecte. Au-delà du pignochage astucieux du règlement communal, cette maison veut offlir une tranche de poésie : les vocables ver­ naculaires se conjuguent aux allitérations et sous-entendus personnels (linteau en négatif du garage, tuyau pluvial sil­ houettant le pignon, profils verticaux taillés en créneaux). Le nombre des effets semble un défi lancé à la modestie du budget. On peut se demander si cette réussite ne verse pas un peu trop de vin blanc au moulin de la police des cons­ tructions. Jacques Gubler