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Immeuble rue de la Pélisserie à Genève

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Le bâtiment des architectes J. Cerutti et J. Farago se situe en bordure de la Haute-Ville du centre historique de Genève, sur le versant nord, au contact de la Basse-Ville et du secteur commercial des Rues-Basses. La parcelle est en partie située sur les lieux des démolitions opérées à la Pélisserie, entre les années 1911 et 1929, par la Ville de Genève. Le concept développé alors par les autorités était de relier la nouvelle rue Calvin prolongée à l'ancienne rue Calvin, aux fins de l'élargir, et de faciliter ainsi la circulation automobile entre le centre politique de la Cité et le quartier du commerce. Les démolitions sont entreprises, mais la Ville renonce à son projet routier et l'immeuble N° 18 rue de la Pélisserie restera plus de cinquante ans renforcé d'arcs-boutants en béton. Cet immeuble appartenait au tissu de tradition médiévale dont les murs mitoyens suivaient parallèlement les courbes de niveau de la colline. L'éventrement créé par la destruction des immeubles suggère un retournement de la structure murale le long de la rue Calvin annonçant les grandes directions nord-sud des mitoyens de la Basse-Ville (fig. 1). De ces deux systèmes architecturaux les architectes ont retenu un principe de rupture. Le projet fragmente l'ensemble de l'immeuble en deux parties distinctes : la transformation de l'immeuble N° 18 et l'adjonction d'un nouveau corps de bâtiment, à l'emplacement des arcs-boutants et du dernier mur mitoyen conservé. Fragmentation clairement révélée par le maintien de l'ancienne façade, sur la rue de la Pélisserie, et la nouvelle élévation proposée sur la rue Calvin. Ces différences sont abandonnées dans le plan de l'espace intérieur de l’immeuble nouvellement baptisé «Pélisserie-Calvin».

En fait l'architecte confronté à une superposition fonctionnelle de commerces, de bureaux et de logements, propose une étrange combinaison entre le plan et les façades de son projet. Plan et façades deviennent signifiants d’autonomies architecturales et géométriques, souvent complètes et autodéterminées. Comme si le plan, à la manière d'une machinerie complexe et narcissique, ne se comprenait que dans son intériorité, et comme si les élévations, autres entités complexes, ne se construisaient qu'à partir d'une structure de séduction qui leur est propre. Le journal des dessins de Janos Farago nous propose lui-même ce double regard : les deux grandes ébauches du projet, que sont deux croquis présentés par l'architecte lors d'une exposition intitulée «autour d'une œuvre», en avril 1983 à Genève (fig. 2 et 3), représentent bien les deux types de recherche mis en œuvre dans le projet Pélisserie-Calvin. D'une part un espace intérieur englobé par le cadre dessiné à main levée, cadre délimité de la perception, et d'autre part, la façade sur la rue Calvin, elle-même abstraite de son environnement par l'œil du projeteur-observateur. Les croquis de plan témoignent également d'une croissance des identités distinctes entre façades et intérieur du bâtiment: d'un premier plan (fig. 4) qui tente encore, par une même emphase de traits, une'vue unitaire de la relation entre façade et plan, au dernier croquis (fig. 5) où une redondance de traits sur l'intérieur oppose sa géométrie à celle de la façade, où le «poché» n'est plus la structure, mais le vide de l'espace intérieur. Si la fragmentation des façades est rendue licite par la situation du projet, en bordure de deux systèmes urbains, le décollement entre l'espace intérieur et l'espace extérieur est promu par le seul processus de projet engagé par l'architecte. Par cette pratique, l'architecte ne nous confronte plus à un bâtiment à la recherche de son unité, mais à celle de sa multiplicité. Il reconnait non plus un point de vue immobile, mais des points de station dans les objets que l'on est amené à parcourir. Dans le cadre de cette multiplicité, les affirmations de Robert Venturi guident l'interrogation:«... une architecture de complexité et d'ambiguité a une obligation particulière vis à vis du tout: sa vérité doit être dans sa totalité ou dans ses implications de totalité. Elle doit rassembler l'unité difficile de l'inclusion plutôt que l’unicité facile de l'exclusion. More is not less.»1 Sur l'ensemble du processus de projet, de la succession des dessins à l'œuvre réalisée, il s'agit d'émettre une série d'hypothèses sur l'espace architectural, de sa complexité à sa fragmentation. Plusieurs thèmes apparaissent en filigrane, à la fois cachés et explicites, façade et plans témoignent de définitions de l'espace: par sa matérialité (les éléments de composition), par sa capacité explicative (l'espace décrit sa propre construction), et par sa capacité évocatrice (l'espace suscite le souvenir d'autres espaces). Nous verrons que ce qui parait explicite dans la façade ne se retrouve que dans le plan et inversément, relations «sotto voce»et chuchottements sournois.

Du thème de l'escalier à la notion de station de regard Le dessin de façade (fig. 6) met en présence la déclivité de la rue de la Pélisserie et de la rue Calvin et les murs de terrasse de la Haute-Ville, nous y observons des structures de lignes biaises qui escaladent par paliers les niveaux extérieurs au bâtiment. Ascension par des escaliers inscrits dans le mur, volonté de cheminements en va et vient le long du mur et escarpements le long de la paroi de façade (fig. 8), témoignages de parcours impossibles. C'est l'intérieur du bâtiment qui va accaparer ces signes d'ascension au fin d’un espace essentiellement construit autour de ce parcours. Par le jeu du projet, l'espace est conçu comme microcosme de cette ascension: les paliers figurés sur l'extérieur sont répétés à l'intérieur du bâtiment et n'offrent pas moins d'une suite de huit points de station et de repos successifs, ils sont autant de lieux du regard et de la perception des changements de géométrie dans la structure de mouvement. Le mouvement règle et casse les figures statiques porteuses de l’édifice. Dilatation de l'espace d'un cheminement accéléré (les escalators) et contraction de l'espace de mouvement plus lent que sont les escaliers et leurs paliers. Multiplicité volumétrique des points de vue conçus selon des directrices qui biaisent le mouvement. L'on oblique d'un point à un autre, mais l'on n'est pas trompé par l’espace. C'est sur la façade qu'est rejeté l'espace illusoir, l’espace des déformations possibles, des perceptions des différents paliers. Ici il ne s’agit plus de lignes obliques à la suite les unes des autres, mais d'obliques confrontées les unes aux autres sur le front de la façade, dans son dessin et dans l'épaisseur du mur. Trompe l'œil qui allonge la façade lorsque l'on regarde vers le bas de la rue Calvin et inversément la réduit dans le regard vers le haut.

Du thème de la ruine à la définition du mur Les dessins de façade renvoient au thème de la ruine. Le mur se stratifie en une série de couches horizontales brisées. Ces irrégularités dessinent la ruine des couronnements de chacunes des couches : celle du socle sous la forme de cassures crénelées, la couche du niveau intermédiaire s'effrite et laisse reposer les colombages à des hauteurs différentes (fig. 6). Les percements, véritables trous, à leur tour semblent ronger le mur (fig. 7). L'architecte, à la recherche d'une définition architecturale du mur passe par l'image de sa destruction avant d'en proposer sa matérialisation. De la ruine se structure alors une construction murale qui simule des appropriations temporelles diversifiées : de la«première»construction du mur de pierre qui réfère plus à la muraille qu'au socle, à la «deuxième» construction d'un mur lisse et crépi, enfin à une troisième construction, celle du mur ossaturé de colombages. La superposition dont le mur est ainsi composé porte alors une réthorique: convaincre par le souvenir des surélévations opérées dans la Vieille-Ville au cours des siècles. La façade se pose clairement en modèle de définition du mur, mur«institué», comme le dit Huber Damisch2, mur qui n'acquiert sa valeur logique qu'en tant que générateur d’un système, ici un système qui met l'accent sur la fonction d'écran. Mur institué aussi parce qu'il se montre comme le résultat d'une construction fondée sur une technique elle-même institutionnalisée. La distinction d’Alberti, entre les différentes couches dans le sens vertical de la façade, est opérée: la base-ici le béton à cannelures, la ceinture, le béton crépi, et le couronnement-ici le colombage. La distinction albertienne se manifeste également dans le sens horizontal, dans l'épaisseur du mur. Le revêtement extérieur (le «cortex», ici le renflement des murs de béton) et le mur interne (ici le colombage présenté comme ossature interne de la façade).

Des géométries Plusieurs géométries d'espaces et de structures portantes sont mises en présence. Ces géométries sont de nature différentes : certaines s'apparentent à des linéarités - elles soutendent les parcours et les escaliers roulants ainsi que la frontalité des façades -d'autres recours à des figures géométriques tortueuses pour déterminer des enveloppes à facettes - les configurations des boutiques et celles des espaces de services - enfin une seule figure géométrique pure, le carré sur la diagonale de la tour. Les géométries, à force de se découper ou de se juxtaposer, se perdent parfois d'un étage à l'autre. Dans ce que certains ont appelé un «désordre organisé», chaque corps de l'espace intérieur se construit sur une identité géométrique et se retrouve successivement dominé ou dominant sur un autre: c'est la prépondérance du carré de la tour sur la linéarité des escaliers roulants au niveau de la cour par exemple, mais il y aura prépondérance de la linéarité du mur de l'escalator sur le carré des

fondations de la tour, au niveau de l'entrée de la rue Calvin. Autant de d latations et de contractions de l'espace dues à ces phénomènes de géométrie et de hiérarchie. Par analogie immeuble/ville, l'architecte retient de l'expérience du cheminement urbain, un concept le lignes directrices convergentes ou divergentes sur des points de centralité. Les géométries se brisent alors dans une référence au labyrinthe mythique de Dédale. Intériorité de l'antre, qui rejette Icare au sommet de la tour, lieu du regard sur la ville transformée en silhouette planimétrique.