Dans le cadre de la première édition d’EXPOSED – Torino Foto Festival, nous avons eu le plaisir de parcourir l’exposition « Non Fiction » de l’artiste américaine Erin O’Keefe (1962, Bronxville, NY) au Musée régional des sciences naturelles de Turin et de découvrir ses oeuvres captivantes qui trompent l’oeil en confondant les limites entre peinture et photographie. Qui est cette artiste aux multiples disciplines ? Nous avons discuté avec sa galeriste à Milan.
Chorégraphe de l’ambigüité, Erin O’Keefe crée dans ses oeuvres des dimensions intimes et hautement contemplatives : évocations d’images obscures, filles de la métaphysique, du surréalisme et des débuts de l’abstractionnisme, mais informées par une nouvelle esthétique perceptive, résultat d’un jeu minutieux d’équilibres entre géométries et couleurs. Erin O’Keefe a une formation en architecture qui lui permet de poser des questions sur la nature de la perception. Le langage abstrait et formel qu’elle a développé en tant qu’architecte est moins axé sur la fonctionnalité que sur la manière de déstabiliser la capacité à déchiffrer quelque chose de déjà connu et établi ; elle crée ainsi des images complexes et vibrantes avec des erreurs et des ambigüités qui ouvrent la voie au paradoxe et à l’arcane.
O’Keefe construit des réalités dans lesquelles l’espace et le temps sont délicieusement suspendus, tout comme les formes et les objets peints de couleurs vives qui peuplent la cosmologie métaphysique. Les arrangements minutieux, la mise en scène méthodique et l’utilisation de la lumière et de la couleur génèrent des paysages déformés et illusoires. La présence spatiale et le sens de l’échelle des objets encadrés sont ainsi profondément altérés et aplatis, de sorte que l’oeil n’a plus de points d’ancrage et que le médium lui-même peut facilement être confondu avec une peinture géométrique abstraite. Les protagonistes de l’oeuvre d’O’Keefe deviennent ainsi les arcs qui se recourbent sur eux-mêmes et les arrière-plans qui inversent les plans de perspective dans un jeu de clair-obscur entre les pleins et les vides et entre les vides qui traversent les pleins. Les axiomes et les lois de la physique s’effondrent : la loi de la gravité elle-même précipite, diversifie des trajectoires dont la physique n’est qu’une interprétation. Si l’architecture est l’organisation d’un espace possible, elle devient chez O’Keefe un espace non possible, un scénario métaphysique à la fin des temps.