En 1971, le panorama éditorial suisse était composé de trois grandes revues d’architecture et d’urbanisme : « Werk », « Bauen + Wohnen » et « Architecture Formes + Fonctions » des Éditions Anthony Krafft.
Un paysage bien léger en comparaison de la situation actuelle − saturée.
À l’époque, la première constatation de Anthony Krafft, éditeur et rédacteur en chef, fut que seulement 5 % de la totalité des réalisations suisses étaient publiées. De plus, les architectes suisses ne trouvaient pas la matière qui correspondait à leurs problèmes. De manière générale, seule une élite était publiée et représentée dans la presse, malgré une qualité évidente de la production. Un algorithme de tri vintage, plus humain que digital.
C’est à partir de là que l’idée du cahier à feuilles volantes à classer présentant de manière simple et efficace l’architecture suisse est née − à Pully, dans le canton de Vaud. Cette présentation claire aura bien évidemment inspiré, et nous en sommes très heureux, un certain nombre de nos confrères.
Avant l’arrivée de personnalités dans le comité et le développement de celui-ci (Vincent Mangeat, Jacques Gubler, Jean-Marc Lamunière, Justus Dahinden, Fonso Boschetti), Anthony Krafft était donc le seul à choisir les projets à publier. De façon indépendante, AS se développait dans le temps. Il faut néanmoins reconnaître la présence discrète de Alberto Sartoris et Rino Tami dans le choix des projets.
Il parut vite évident à Anthony que la seule présentation des projets n’était pas suffisante et il créa donc la première rubrique de AS : AS LIBRE, en avril 1980.
« AS LIBRE se veut une rubrique critique afin d’élargir la portée de l’information. » Des chroniques, des pensées sur l’architecture, des présentations de livres, et d’autres types de textes s’y retrouvent. Le premier texte est signé par le Prof. Jacques Gubler (cf. AS 41).
Avec le temps et la passion pour l’architecture, de nouvelles rubriques viennent s’ajouter à AS LIBRE. AS INT, sur des projets internationaux dans lesquels la Suisse tient une place essentielle ; AS ING, sur des projets d’ingénieurs ; AS YOUNG sur les jeunes bureaux ; jusqu’à la dernière arrivée, en 2021, AS MUNDI, sur un projet international. Une rubrique qui fait le pont avec Architecture Formes + Fonctions.
AS délivre donc une constante: la promotion et la documentation de l’architecture suisse, mais aussi des arts, couvrant tout le territoire, avec la plus grande parité possible entre tendances et régions linguistiques.
Nous vous proposons d’ailleurs plus loin quatre premières pages des différentes décennies. Tous ces projets et beaucoup d’autres sont accessibles sur AS Encyclopaedia.
En 1991, Anthony Krafft décède tragiquement. Le monde de l’édition suisse perd l’une de ses références. Sa femme, Maria Teresa Krafft-Gloria, reprend les rênes du projet et y ajoute sa touche. Elle intègre de nouveaux rédacteurs/architectes, que nous saluons ici (Sigfrido Lezzi, Lucienne di Biaise, Nicolas Lupu, Florence Auras), de nouvelles rubriques, mais surtout un objectif : se battre avec force en tant que femme et défendre et respecter un projet familial tout en faisant la promotion de l’architecture suisse de manière indépendante.
Une réussite pendant 24 ans.
En 2015, je reprends la direction de AS, avec l’aide inestimable de nombreux architectes et professeurs. Il me semble important de faire évoluer la forme, non la fonction de la revue.
Sa mission reste la même : documenter. Avec un vinyle qui tourne dans le salon et la bibliothèque remplie de beaux livres et magazines (les nôtres, mais aussi le splendide travail de Quart, Espazium et Werk), je confirme l’importance de l’objet et l’importance des références solides dans notre monde virtuel victime du temps, ou plutôt du non-temps. Nous sommes matière. L’architecture en a besoin. C’est l’élément de base. La presse papier meurt, mais pas l’envie de matière − réelle.
En effet, je crois donc fortement à l’importance d’un support de haute qualité éditoriale. Il me semble aussi important d’essayer de prendre le temps − c’est essentiel en tant qu’être humain − de réfléchir, d’étudier et peut-être d’essayer d’éviter la tendance actuelle du « copier-coller ».
Malgré la féroce compétition internationale du tsunami d’informations gratuites sur le web, je n’abandonne pas. Je ressens une grande satisfaction à publier sur papier de jeunes bureaux, des projets plus modestes, mais aussi une sélection de l’élite et de projets internationaux, heureux et même fiers d’être publiés en Suisse sur un support papier, qui s’inscrit dans la durée, contrairement à une notification Instagram.
Il est maintenant important de préciser comment fonctionne AS et comment nous procédons aux choix éditoriaux. La production architecturale suisse est impressionnante. Il est impossible de tout publier, ce ne serait d’ailleurs pas le but. Nous devons donc choisir. C’était relativement aisé dans les années 1970 et 1980 ; c’est bien plus complexe aujourd’hui. Alors, comment fait-on ?
Nous discutons, observons et faisons des choix qui, je l’espère, sont honnêtes et représentatifs d’une époque. Nous avons la chance d’être appuyés par des esprits brillants. Des « sages » qui n’ont aucun intérêt autre que la promotion de l’architecture − dans son ensemble. Nous les appelons : le comité.
Le comité de AS est un comité discret, mais pour certains très présents, chacun ayant une zone géographique, un champ de connaissance dominant. Je fais appel à ces sages en fonction de mes recherches et les projets sont choisis de manière presque anonyme. Pas de célébrités et têtes d’affiche. Pris dans son ensemble, AS nous montre bien la situation générale et nous offre un panorama de la construction. Sans trop de copinage.
La sélection est ensuite éditée de différentes manières : nous proposons en principe un numéro thématique par année qui consacre tout son espace à la thématique choisie. Depuis deux ans, nous vous proposons aussi un voyage architectural dans la série « Diario ». Avec à ce jour le Brésil et l’Italie, cette série nous a montré des liens et des collaborations avec ces pays et l’importance de l’échange de compétences ainsi que de la globalisation constructive. Les numéros « classiques » de AS sont quant à eux composés d’une dizaine de réalisations, issues de tout le territoire, représentant différents types de structures (école, maison individuelle, etc.). Cette sélection est accompagnée aléatoirement de présentations d’artistes, de critiques ou de profils.
Je tiens à souligner ici le travail de l’équipe de AS :
Eliane Rodel, sélection de projets, architecte ; Christophe Lietz, traduction, architecte ; Maria de Gibert, graphisme ; Lucia Caro, relecture française ; Laura von Hagen, rédactrice et traductrice pour la section art et design ; tous les membres du comité qui suggèrent, proposent et parfois critiquent oeuvres, projets et réalisations.
En 2020 et grâce à l’aide inestimable du Dr Salvatore Aprea des Acm, Archives de la construction moderne de l’EPFL, nous avons numérisé et référencé 8’000 pages d’architecture qui sont accessibles à tou.te.s nos abonné.e.s. La plateforme AS Encyclopaedia est un outil digital qui permet la recherche de projets et articles dans 50 ans d’histoire de la construction suisse.
Et pour les 50 prochaines années.
Voici ce qu’est AS. Un projet éditorial suisse indépendant, devenu hybride 2.0, qui dure dans le temps et qui présente l’architecture et les arts helvétiques et internationaux tels qu’ils sont, ont été, et seront.
Frederic Krafft-Gloria