Selon l'actuelle loi fédérale sur le droit d'auteur, les ouvrages d'architecture peuvent, en principe, être protégés tout aussi bien que des œuvres de littérature ou de musique, pour autant que et dans la mesure où leurs plans et leur exécution apparaissent comme émanation d'une idée de l'esprit.
On entend par architecture l'art «... d'exécuter des bâtiments (en surface, en tant que tâches de l'architecture) fonctionnels et artistiquement «beaux». Un ouvrage d'architecture doit toujours être à la fois •artistique, peu importe que ce soit tantôt la qualité utilitaire, tantôt l'effet artistique contenant le goût qui prédomine»* (Arrêt du Tribunal fédéral suisse, RO 56 II 417).
Ceci est expliqué plus généralement par l'expert allemand en droit d'auteur Eugène Ulmer: «Partout où une idée d'espace est réalisée par les moyens de la technique de construction, dans le bâtiment et le génie civil, qu'il s'agisse d'immeubles de tous genres, de la conception et de l'aménagement d'intérieurs, ou de ponts et chaussées, etc., dès qu'il y a conception artistique, il y a œuvre d'architecture... Les parcs et jardins aménagés artistiquement jouissent donc aussi de la protection du droit d'auteur, peu importe qu'on les considère comme ouvrages d'architecture ou que leur protection découle directement de la clause générale» * (E. Ulmer, die Werke der Baukunst in urheberrechtlicher Sicht, dans: Der Architekt, N° 3, p. 77 ss.). Conditions pour la protection du droit d'auteur Vu que la loi fédérale sur le droit d'auteur ne fait qu'énumérer des exemples de catégories d'œuvre pouvant être protégées, sans expliquer quelles conditions doivent être remplies pour qu'une œuvre puisse être protégée par le droit d'auteur, la juridiction et la jurisprudence ont dû élaborer les conditions. Le Tribunal fédéral définit l'œuvre pouvant être protégée comme «création particulière de l'esprit de caractère autonome» *, comme «une œuvre nouvelle de l'esprit, qui incorpore une idée créatrice ou porte l'expression personnelle d'une pensée» et comme «expression d'une idée de l'esprit nouvelle et originale»* (RO 75 II 359, 76 II 100, 77 II 379). En rapport avec les ouvrages d'architecture, le Tribunal fédéral a retenu que les constructions représentant uniquement du travail artisanal sans valeur originale d'utilité et de goût ne peuvent pas être protégées par le droit d'auteur. Les reproductions fidèles de constructions déjà existantes ne jouissent pas non plus de la protection du droit d'auteur. Dans un arrêt plus récent, le Tribunal fédéral a différencié sa pratique antérieure concernant la protection d'ouvrages d'architecture: «La loi sur le droit d'auteur ne
demande pas à l'architecte de produire une performance particulièrement originale («originalité marquée»); elle se contente d'un faible degré d'activité autonome («simple originalité»). Elle lui refuse la protection lorsqu'il ne produit qu'un travail artisanal en associant ou en modifiant des formes et lignes connues ou lorsque les circonstances données ne lui permettent pas d'être créatif»* (RO 100 II 172). La nouvelle jurisprudence a analysé ces dernières années l'expression «unicité statistique» introduite par Max Kummer adoptée plus ou moins aussi sous le terme «individualité» dans les différents projets pour une nouvelle loi sur le droit d’auteur. Comme l'a déjà exposé le Tribunal fédéral, une œuvre qui ne représente que la modification des formes connues ou l'assemblage d’éléments déjà existants et connus ne peut pas être protégée, parce qu'elle n'est pas statistiquement unique et qu'elle ne présente, par conséquent, pas d'individualité, on peut admettre, dans de tels cas, qu'un tiers aurait réalisé l'œuvre de la même façon. Dans le domaine de l'architecture, la liberté et les possibilités de l'architecte de créer l'ouvrage entièrement selon ses propres critères et son imagination personnelle sont beaucoup plus restreintes que, par exemple, dans la musique ou la littérature. Lorsqu'on projette un ouvrage d'architecture, de nombreuses conditions sont déjà données: affectation des constructions, situation, règlement de construction, moyens financiers disponibles, etc. Plus un architecte aura de liberté artistique dans la conception d'un certain ouvrage, plus on pourra donc admettre que le résultat représente une création méritant une protection de droit d'auteur. La protection de droit d'auteur ne s'applique pas seulement à la construction dans son ensemble, mais aussi à des éléments de celle-ci, à condition que ces derniers répondent également aux conditions précitées. Titulaire du droit d'auteur Le titulaire du droit d'auteur d'ouvrages protégés de l'architecture est l'auteur de l'ouvrage, donc l'architecte. Le créateur d'un ouvrage d'architecture peut, en tant qu'architecte, en faire valoir la protection de droit d'auteur.
Lorsque plusieurs architectes projettent et réalisent une construction ensemble, le droit d'auteur leur revient conjointement. Contenu du droit d'auteur Le droit d'auteur accorde à l'auteur le pouvoir absolu sur son œuvre. Ce pouvoir comprend tous les intérêts matériels et idéaux. Cela veut dire d'une part que l’auteur peut décider si et de quelle manière sa création doit être utilisée. Toute utilisation quelconque de son œuvre par des tiers sans autorisation expresse de l'auteur est interdite.
D'autre part, la protection du droit d'auteur signifie aussi une intégrité garantie de l'œuvre, c'est-à-dire que les intérêts personnels et idéaux de l'auteur sont aussi défendus. Il est seul à pouvoir décider de quelle manière ses œuvres doivent être publiées; il a droit à ce que ses œuvres restent intactes et intègres et peut se défendre contre tout préjudice ou changement risquant de nuire à sa renommée ou à son honneur. Le droit de la personnalité de l'auteur, en particulier le droit de l'intégrité de l'œuvre de l'architecte Si l'auteur est architecte, les contenus précités du droit d'auteur sont, en principe, valables également. Cependant, dans le domaine de l'architecture, il y a lieu de tenir compte de quelques particularités qui jouent surtout un rôle en manière de droits de la personnalité de l'auteur. Alors que la plupart des formes de créations pour lesquelles le droit d'auteur importe, telles que les œuvres littéraires, peintures, sculptures, compositions musicales, films, etc., ne se basent pas sur un but utilitaire, les ouvrages d'architecture - abstraction faite des monuments, arcs de triomphe, etc. - sont réalisés presque sans exception pour une utilisation bien définie, en premier lieu naturellement pour des logements. Cela signifie que le propriétaire d'un bâtiment, contrairement au propriétaire d'un livre ou d'une peinture, est beaucoup plus intéressé ou même obligé de modifier ou d'agrandir le bâtiment, surtout quand l'affectation de celui-ci change au cours des années. Dans de tels cas, il y a conflit de deux positions de droit: d'un côté l'architecte peut invoquer son droit d'auteur interdisant d'apporter des modifications, de l'autre côté s'y oppose le droit de propriété selon l'art. 641 du Code civil autorisant le propriétaire à disposer librement de son bien Ce conflit de droits n'est pas résolu dans la loi fédérale sur le droit d'auteur et dans la juridiction. Par contre, la jurisprudence - en particulier dans la République fédérale allemande - a examiné ces problèmes à plusieurs reprises. La solution réside dans l'évaluation des intérêts des deux parties. Les intérêts de l'architecte primeront certainement lorsque le maître d'œuvre ou le propriétaire d'un bâtiment voudra y apporter des modifications uniquement pour des raisons esthétiques. Il est beaucoup plus difficile de juger les cas où les modifications ou agrandissements sont opérés parce que l'affectation du bâtiment a changé ou parce qu'une modification s'impose au propriétaire pour des raisons économiques (rationalisation ou adaptation de la production, etc.). Plus le but utilitaire d'un bâtiment importe, plus le propriétaire a des droits de le modifier ou de l'agrandir sans autorisation de l'architecte. On ne veut pas contraindre le propriétaire de s'accommoder d'insuffisances prouvables,
d'autant plus que, contrairement aux œuvres d'art mobiles par exemple, il ne peut pas simplement échanger son bâtiment. «Lorsque l'affectation essentielle d'une construction est altérée parce que la tâche initiale du bâtiment est complétée, réduite ou supprimée, on ne peut contraindre le propriétaire à laisser prévaloir la forme initiale et à subir de graves dommages financiers à cause de l'idée esthétique» * (Alois Trailer Das Urheberrecht an Werken der Architektur, dans RSJB 1945, cahier 9, pag. 17). Les transformations autorisées ne doivent cependant s'écarter de la substance du bâtiment que dans la mesure requise par leur but. «On doit aussi demander au propriétaire de supporter des frais plus élevés ou de choisir une solution qui n'est pas la meilleure du point de vue technique»* (Hans Hesse, Urheberrecht des Architekten, BauR 1971, N° 4, p. 220). Outre les deux solutions - autorisation au propriétaire de transformer ou interdiction par l'architecte - il y a toutefois encore une troisième possibilité qui consiste en un engagement du propriétaire à confier les travaux de transformation nécessaires à l'architecte auteur de l'ouvrage, si ce dernier ne fait pas de conditions déraisonnables. L'auteur devrait toujours avoir le droit de collaborer aux travaux de transformation et d'agrandissement, dès l'instant qu'il est seul à pouvoir garantir que la substance architecturale et le caractère initial du bâtiment soient conservés au plus pur. Il s'est avéré, ces dernières années, que les architectes invoquent davantage leur droit d'auteur, surtout lorsque les maîtres d'œuvre - souvent des autorités communales, paroisses et communautés scolaires transformaient le bâtiment à leur propre gré, fréquemment en le mutilant.
* Les citations ont été traduites par la rédaction du bulletin GSMBA/SPAS qui a publié cet article dans son numéro de mai 1990.