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A-DESSIN - Lecture de Boullée comme modus operandi

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«H faut concevoir pour effectuer. Nos premiers pères n 'ont bâti leurs cabanes qu'après en avoir conçu l'image. C'est cette production de l'esprit, c'est cette création, qui constitue l'architecture, que nous pouvons en conséquence définir l'art de produire et de porter à la perfection tout édifice quelconque. » ... J'ai dédaigné, je l'avoue, de me borner à la seule étude de nos anciens maîtres. J'ai cherché à agrandir, par l'étude de la nature, mes pensées sur un art qui, d'après de profondes méditations, me paraît être encore à son aurore. Combien peu, en effet, s'est-on appliqué, jusqu'à nos jours, à la poésie de l'architecture... Oui, je le crois; nos édifices, surtout les édifices publics, devraient être en quelque façon des poèmes. Les images, qu'ils offrent à nos sens, devraient exciter en nous des sentiments analogues à l'usage auquel ces édifices sont consacrés.

H m'a semblé que, pour mettre dans l'architecture cette poésie enchanteresse dont elle est susceptible, je devais faire des recherches sur la théorie des corps, les analyser, chercher à reconnaître leurs propriétés, leur puissance sur nos sens, leur analogie avec notre organisation. Je me suis flatté, qu'en remontant à la source d'où les beaux-arts émanent, j'y pourrais puiser des idées neuves et que j'établirais des principes d'autant plus sûrs qu'ils auraient pour base la nature. ... C'est de ses effets que naît la poésie de l'architecture. C'est là ce qui constitue l'architecture un art; et ce qui porte cet art à la sublimité. Les tableaux en architecture se produisent en donnant au sujet que l'on traite le caractère propre d'où naît l'effet relatif.

Réfléchir au dessin d'architecture comme fait, conduit inévitablement à s'interroger sur l'acte d'architecture dans sa globalité et tenter d'évaluer le rapport entretenu entre le dessin et l'architecture. L'intérêt d'enseignement que peut présenter pour nous aujourd'hui une lecture de Boullée réside dans la nature de l'œuvre que cet architecte du siècle des Lumières nous a laissée: une œuvre essentiellement rédigée et dessinée. Boullée n'a pas construit les projets qui constituent son essai; son œuvre est contenue dans la relation du texte au dessin qui forment l'unité du projet où le dessin développe ou vérifie l'argumentation théorique de l'auteur. Les principes de cette théorie sont établis sur l'observation de la nature et des sentiments que la nature suscite à l'observateur. Ces principes ne sont pas le fait d'une étude portant sur des édifices reconnus de l'architecture classique, mais ils sont le fruit de l'expérience individuelle et de l'introspection. Ainsi, l'œuvre est-elle autobiographique et l'architecture dépasse sa fonction de représentation de son objet pour devenir représentation de l'objet dont le dessin est l'image. L'acte d’architecture n'est pas un acte fini en soi, mais un acte qui implique l'être dans sa totalité: être existant/être agissant, où le(re)sentir, le penser, le faire, ne sont plus des entités séparées. Dès lors, le monde (la nature) n'est plus un phénomène extérieur et abstrait mais il définit en lui-même le contexte de l'existance et sa compréhension (possession) devient le terme de l'acte: l'être est un être dans le monde et par le monde, il se réalise et réalise son œuvre, qui devient art. Ainsi, il existe un contenu de l'architecture antérieur/en dehors du fait constructif qui en est le résultat. En réfutant l'assimilation de l'architecture à un processus technique qui fait de la construction le motif principal de l'architecture et qui lie la pensée architecturale à la condition de l'édifice construit, Boullée, par l'étude de la nature, tente de fonder l'architecture sur des principes premiers, des invariants qui découlent de l'observation subjective (le resentir) des phénomènes naturels. Dans ce système, la nature, posée comme référant idéal, devient le champ de l'expérience de l'être comme pensée, consciente d'elle-même (introspection). La nature, parles émotions quelle provoque, révèle son essence à l'observateur en le révélant à lui-même. Ce rapport avec la nature suggère qu'il existe une relation intrinsèque entre l'observateur et l'objet qui n'est pas rationalisable (objectivable), qui agit par analogie entre un être sensible et un objet inerte à travers la fonction émotive. Ceci pose au centre de toute perception ou élaboration l'homme. L'œuvre existe par sa capacité à se révéler elle-même au spectateur dans la mesure où elle révèle le spectateur à lui-même. Il ne s’agit donc pas de reproduire une série d'observations qui seraient par là objectivables et catalogables donnant une série d'images fixes et convenue, mais de proposer une représentation de l'expérience/émotion vécue par la composition d'une image analogue. L'architecture devient un artéfact (acte d’art), objet abstrait, par lequel l'actant traduit à travers l'image (le dessin), dans le tangible, la condition de l'être dans le monde et à travers la composition de l'image, il rend compte de l'ordonnance du monde. La nature est la source, l’origine, la matrice première de tout ce qui existe, en elle l'essence de l'être se révèle à travers l'ordre qui la régit. Ainsi, vouloir la comprendre, c'est chercher en elle les principes premiers, les invariants, les lois qui la constituent afin d'établir à partir d'elles les règles (théorie) de la composition architecturale. Ces règles autorisent une matérialité de l'image; la représentation de l'ordre n'est pas soumise à une condition temporelle (contextuelle), mais est capable de donner une réponse

adéquate à toutes les situations. Le dessin assume et dépasse les données du plan, les données de la statique de la construction, il devient le champ (l'occasion) de l'expérience architecturale, de l'expérience de l'être. Valent!no Bruno, architecte EPFL

1 E. L. BouWée,Architecture, essai sur l'art, Hermann, 1968. A. Rossi, Introc/uzioneaBoullée, in Scritti scelti, Clup, 1975. F. Eichet, La théorie architecturale à l'âge classique, Mardaga, 1979. E. Kaufmann, Trois architectes révolutionnaires, Sadg, 1978.

Cette espèce de production demande plus particulièrement que tout autre la poésie de l'architecture. C'est cette intéressante poésie que j'ai surtout cherché à introduire dans cet ouvrage. Ayant formé le projet de caractériser le séjour de la mort par l'entrée d'un cimetière, il me vint une pensée aussi neuve que hardie ; ce fut d’offrir le tableau de l’architecture ensevelie. En réfléchissant sur tous les moyens dontje devais me servir pour rendre mon sujet, j’entrevis que les proportions basses et

affaissées (...) étaient les seules que je pourrais employer. Après m’être dit, à moi-même, que le squelette de l’architecture est une muraille absolument nue et dépouillée, il m ’a semblé que pour rendre le tableau de l’architecture ensevelie, je devais faire en sorte qu’en même temps que ma production satisferait dans son ensemble, le spectateur présumât que la terre lui en dérobe une partie1.

Le cénotaphe étant le monument principal, il occupe le centre de l’enceinte; à l’instar des anciens, il est isolé de toutes parts. L'effet de ces sortes de monuments devant être triste, j'ai évité d'y introduire aucune des richesses de l’architecture. Je ne me suis pas même permis d’en détailler la masse, afin de lui conserver le caractère de l’immutabilité. J’ai donné à la pyramide la proportion du triangle équilatéral, parce que la parfaite régularité constitue la belle forme1.

Dans les intérieurs de tous les monuments, les voûtes en forment le couronnement, et leur naissance prend toujours au-dessus de l’ordonnance de l’architecture. Ici, j’ai affecté de faire prendre cette naissance à rez de terre. Ce procédé est la conséquence des observations faites ci-dessus, que ces monuments doivent présenter des proportions basses et affaissées et qu ‘en satisfaisant dans leur ensemble le spectateur, celui-ci puisse présumer que la terre lui en dérobe une partie1. III