Régulièrement, les concours d'architecture font l'objet de critiques acerbes : « jurys incompétents », « ce sont toujours les mêmes qui gagnent » ou « le concours est une variante du cartel de répartition des mandats ». Bien sûr, ces critiques peuvent s'expliquer par la déception née de la perte d'un concours, quand trois mois de travail passionné se voient soudain réduits à néant. Néanmoins, architectes et ingénieurs restent très attachés à cette institution, ce que montre une participation toujours plus soutenue aux divers concours organisés en Suisse romande, terre aujourd'hui fertile en la matière.
Ce succès, comme ces critiques, obligent les organisateurs et les maîtres d'ouvrage. Si ces derniers veulent continuer à bénéficier de l'apport de prestations intellectuelles offertes gracieusement par les professionnels, un cas sans équivalent dans l'attribution de marchés publics ou privés, ils doivent faire preuve d'une vigilance sans faille dans l'organisation des concours. Notamment en ce qui concerne la composition des jurys, le renouvellement régulier de ceux qui y siègent, la représentation équitable de toutes les parties prenantes usagers et riverains compris, le choix de la procédure la plus adéquate, la transparence et la clarté dans la transcription des débats et la publication des résultats.
Car les conséquences de la disparition des concours d'idées ou de projets peuvent s’observer un peu partout dans le territoire européen. Nombreux sont en effet les pays ayant négligé la transcription en droit national des accords GATT/OMC sur l'attribution des marchés publics. Contrairement à la Suisse, ces pays n'ont pas cherché à résoudre la difficulté majeure qui en résultait, à savoir la définition de la prestation intellectuelle face à la notion, a priori objective, du prix d'une marchandise.
Par conséquent, à Barcelone ou à Bruxelles, on s'est contenté de l'appel d'offres (ou concours négocié), souvent en procédure restreinte, et l'on n'a quasiment plus organisé de concours d'idées ou de projets depuis vingt ans. La maîtrise d'oeuvre publique a donc été soustraite du champ de la culture du bâti, le laissant libre pour les majors des travaux publics, les investisseurs et les promoteurs. Certes, ceux-ci, comme pour le concours « Réinventer Paris », font volontiers appel à quelque star ou à quelque talent émergent pour composer leurs équipes, mais c'est le prix offert qui devient le seul critère déterminant, soutenu par l'effet racoleur de visualisations 3D, de montages vidéo ou de promesses en toc pour un développement durable - arbres volants, terrasses ensoleillées ou enfants rieurs.
La Suisse reste, provisoirement, à l'abri de cette tendance marchande et furieusement « Disney ». A travers les règlements SIA 142 et 143, elle dispose d'outils fiables pour l'attribution des marchés publics. Il revient aux acteurs, associations professionnelles et maîtres d'ouvrage publics, d'en user avec discernement et rigueur.
Francesco Della Casa, architecte cantonal