Architecture Suisse

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Un dialogue entre Anatole du Fresne et Alfredo Pini (Suite)

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Dans le numéro précédent est parue la première partie de ce texte d'Atelier 5. Alfredo Pini et Anatole du Fresne parcourent divers points qui replacent ce collectif parmi les autres protagonistes de l'architecture en levant au passage certains coins du voile sur leur façon de concevoir le travail de groupe et son évolution dans la durée.

Anatole du Fresne: Mais Spazio e Société nous a prié de faire quelques déclarations sur la situation actuelle dans l'architecture. J'aimerais reprendre mon élan là-dessus: Spazio e Société. Souviens-toi de l'époque aux environs de 1969, époque à laquelle nous élaborions notre projet pour Lima, en ce temps-là il était très peu question de «Spazio» et vraiment beaucoup de «Société». Les questions de société gravitant autour de notre profession avaient une énorme importance. En parcourant par exemple un journal comme «Architectural Design» de cette époque, tu constates que toute une génération d'architectes s'est préoccupée de ces questions: qu'arrive-t-il à notre société, comment faut-il construire pour satisfaire aux changements d'aspiration de cette société? Nous savons à présent qu'il y eut un tournant. Je me souviens là de ma présentation du projet Lima à l'EPF de Zurich, chez Küster. Voici la réaction des étudiants d'alors: notre projet ne représentait aucune solution pour les gens vraiment pauvres de ce pays-là. Le projet n'intéressait guère les étudiants, leur grande préoccupation était le social. J'en fus alors plutôt irrité, et lorsqu'une proposition du même endroit me parvint juste après, me demandant si nous n'expliquerions pas notre projet d'Oftringen, l'envie m'en avait passé. En clair, je ne pouvais pas m'imaginer, à l'aide d'une pirouette verbale, de tirer d'un projet de construction pour une maison familiale un projet pour une construction d'habitations sociales. Je demandai à Blumer qui avait toujours eu un penchant pour le social d'y aller et d'expliquer le projet, parce que je croyais qu'il maîtriserait mieux le jargon d'alors pratiqué par les étudiants. C'était 1973. Blumer s'y rendit et fut pris complètement à l'improviste par le changement d'opinion qui s'était répandu parmi les étudiants. Soudain les questions sociales n'étaient plus sujet de conversation, on demandait à parler de projet. Comment telle place, telle maison est-elle conçue et mise en forme? Telle structure que nous avions élaborée ne suffisait pourtant pas sous l'angle du projet, etc. Entre-temps, à Zurich, Rossi était le professeur et Reichlin son assistant. Autre exemple: examine ce bouquin à propos de l'exposition «Le città immaginate» à Milan. Tu y remarques que les architectes comprennent leur profession comme celle de l'artiste. La question de savoir comment l'on doit construire pour notre société n'y est plus d'actualité, seule y compte encore celle de l'apparence de la chose. Au sujet de ces mutations que j'essaie seulement de faire comprendre par deux ou trois exemples - tu sais de quoi il en retourne - il y aurait de notre part bien encore quelque chose à dire. Je me rappelle ta colère à la fin de la visite des musées allemands (Stuttgart, Mönchengladbach). Je me souviens de ton intervention à Nyon, lorsque tu t'es élevé contre le projet de Mangeat, je me rappelle tes réactions face au développement de l'architecture du Tessin, qui mène un canton à crever lentement pendant que les architectes se comportent d'une manière de plus en plus affectée.

Alfredo Pini: Je crois qu'il y a aussi des signes d'amélioration. En voyant que l'on nous mandate maintenant pour réaliser une partie d'un quartier résidentiel de Florence, en voyant en face de moi les gens que j'y ai rencontrés et qui ont très bien compris que c'est plus que de placer simplement son capital de façon attractive... Ces gens qui ont précisément compris que cela ne se fait pas par la réunion de noms attractifs. Ils savent bien qu'il leur faut un architecte qui veuille traiter des besoins des habitants. Par là on n'a pas parlé de Jeux olympiques pour architectes, mais d'un quartier, de la vie de ce quartier, de la collaboration avec les sociologues. Manifestement, on a le sentiment que, pour parler simplement, des architectes soumis au postmoderne ne s'occuperaient que peu de ces choses. Dis pourtant cela à un représentant de cette tendance et alors il t'arrache les yeux, car il prétend justement le contraire, que c’est nous les rationalistes qui avons démoli le monde, détruit les villes, pris uniquement en compte les besoins vitaux. Mais cela donne un conflit presque insurmontable lorsque quelqu'un comme Bofill affirme tenir compte des besoins des habitants en les faisant loger derrière d'immenses colonnes doriques et qu'il réplique avec véhémence quand on lui dit qu'il utilise les hommes comme arrière-plan ou comme raison de construire un monument. Chose difficile pour nous que de parler des espaces dans lesquels les 93.1

hommes vivent, des relations de ces espaces entre eux, de l'espace vital dont une société moderne a besoin, alors que tes «adversaires» disent que l'homme vit de son histoire, qu’il vit de ses souvenirs, qu'il en a toujours été ainsi, que l'on doit en revenir à cela. Une affaire très compliquée... AdF: Mais l'on aimerait déjà bien entendre de notre part un peu plus que simplement une déclaration disant que c'est une affaire très compliquée. Nous ne sommes pas des chroniqueurs distants de l'histoire, mais des participants directs. Si tu vas par exemple à Nyon pour démolir un projet de bâtiment scolaire conçu par Mangeat, tu devrais pourtant aussi être en mesure de dire ensuite en peu de mots de quoi il s'agit. Si tu étais le philosophe que tu campes là dans cette conversation d'aujourd'hui, tu ne monterais pas ainsi aux barricades. AP: Je le peux. J'ai donc été d'avis que le tour donné par ces architectes à leur projet ne correspond absolument en aucune façon à la vie moderne. Pour nous, c'est seulement une architecture qui a une autre empreinte sociale, une empreinte étrange. A l'époque de la libération des contraintes, de celle par exemple de l'école ouverte, d'école sociale dans laquelle on essaie d'abolir les seuils érigés par l’éducation, du côté des architectes on puise dans la caisse de l'histoire pour réhabiliter la bourgeoisie et la représentation, comme si l'époque moderne avait passé devant nous sans laisser aucune trace. AdF: Mais cela n'est pas à présent uniquement valable pour ce seul projet à Nyon. AP: A peine concevable pour ce projet-là de bâtiment scolaire, ce rapport tourne irrémédiablement à la farce chez Bofill dans ceux de ses projets où il est en réalité question de logement social. Il n'y est plus question que de l'architecture pour elle-même. On s'y tourne vers l'histoire sans en retirer une quelconque leçon, on s'y limite à décalquer, sans processus analytique, au contraire cela devient simplement l'érection de décors de carton pâte. On ressort des choses qui avaient autrefois un sens et une signification sans pouvoir leur remettre du sens, de la signification et du contenu. AdF: Prends par exemple le projet de la Villa Favorita. Je me souviens encore très bien de la première visite de l'ancienne galerie. Pour nous tous, il était bien clair que ce bâtiment, construit peu après 1930, pouvait tout juste servir de galerie au père de l'actuel baron Thyssen, mais qu'il était, au sens propre, un pur anachronisme. Aucune trace de la façon de bâtir de 1930, au fond rien de plus que la confirmation par le maître d’ouvrage d'alors que l'art aurait cessé d'en être avec le XVIIIe siècle. Quelques années après, à l'occasion du projet de nouvelle galerie, nous avons parcouru le bâtiment. Et je vois et j'entends la façon de Stirling de découvrir avec intérêt ce curieux milieu d'expositions, et ma foi admiratif! Eh oui, et cela va encore plus loin. Sachant de conversations directes avec Thyssen qu'il a une attitude apparemment critique face à des falsifications de cette sorte - je me souviens bien qu'il voulait faire démolir l'un des bâtiments parce qu'il savait qu'il n'était d'aucune valeur - et que quelques mois plus tard à peine tu es mis devant le fait que le même homme choisit le projet de Stirling, qui est exactement dans la ligne des précédentes falsifications, et lorsque tu vois que devant de telles pratiques l'ensemble de la critique reste comme médusée, la bouche bée, en complète admiration et que personne ne pose la question: un moment donc, une collection d'art moderne et une pareille maison?... Et alors? Est-ce compatible? AP: Maintenant la critique de l'architecture vit naturellement de l'ode, si elle veut vendre. L'un fait de l'autre un héros, donne un coup sur l'épaule. Hier, j’étais d'abord au Palais Strozzi à Florence, j'y ai examiné une exposition, et puis au Palazzo Vecchio. Et alors, très clairement, tu le vois, Stirling a emprunté d'une façon absolue des éléments à cette architecture tant pour son projet de la Favorita que pour celui de Stuttgart. Mais si tu vois avec combien de rigueur et de compétence on a fait les anciens édifices, tu remarques tout de suite pourquoi ses projets ne jouent pas. L'architecture ancienne avait sa justification. La référence au temps révolu, à quoi ça sert? Stirling va simplement voir et trouve que ces vieilles choses sont belles, il se sent à l'aise et prend ce dont il a besoin, en le plaçant dans un autre contexte. Cette extraction hors du contexte et sa mise en place suivant le caprice du goût est insupportable. Vois le dôme de Florence qui est un édifice ciselé avec une extrême délicatesse, un édifice immense, incroyablement vaste, il fait voler en éclats toute la ville. En le voyant, tu ne peux t'empêcher de penser que les gens, à l'époque où l'on a construit le bâtiment, allaient et venaient autour dans les costumes correspondants et non pas en jeans et

en anoraks. Citoyens et bâtiments formaient autrefois un grand ensemble. En essayant d'évoquer à notre époque la fascination de ce temps, on oublie que la société s’est transformée et qu’elle ne se laisse pas ramener à son état précédent. Vouloir créer un monde qui doive s'élever au-dessus des problèmes du quotidien, voilà qui est au fond un paralogisme fantastique. Notre profession est sur le point de se trouver abandonnée au métier de décorateur de scène. Lorsque Peduzzi cite le XIXe siècle pour la mise en scène du «Ring» par Chéraux à Bayreuth, je sais bien que la représentation se termine par une fin. Mais chez Bofill, la chose s'éternise. Nous vivons l'époque du lecteur de cassettes portatif, de l'ordinateur personnel, des jeans, une époque marquée par la surabondance de l'information et par les nouveautés techniques, comme jamais auparavant. Et la réponse adéquate de l'architecture doit-elle retourner au coup d'œil extérieur? Complètement absurde. Lorsque, dans son projet pour le nouvel Opéra du Japon, Hollein dessine des personnages sur ses plans, ils sont vêtus comme la bourgeoisie européenne au XIXe siècle, il travaille par conséquent comme un décorateur de scène et non comme un architecte. AP: Dégoûtante histoire. AdF: Est-il vraiment impossible de trouver une expression adéquate dans l'architecture pour l'homme d'aujourd'hui, avec tout son bataclan technique, avec sa mobilité bien plus folle que tout ce que l'on aurait pu imaginer? AP: Provisoirement, l'on s'est décidé pour la tromperie. On veut contenir la réalité. On ne veut pas être celui que l'on est. Par les moyens de la culture, que dis-je, par un abus de la culture, par une violence faite à l'histoire, on met en place un monde pétri d'illusions. C'est plus un problème pour un psychologue que pour un architecte. AdF: Dans l'exposition Le Corbusier de Zurich (Esprit Nouveau) que nous avons vue tous deux, tu sens comment l'entourage de Le Corbusier a recherché une expression pour une société nouvelle. De quelles maisons, de quelles habitations, de quelles automobiles, de quels meubles l'homme a-t-il besoin? Alors on a créé quelque chose d'épatant. Et en ce temps-là, on a rejoint le développement moderne dans une proportion qui a dépassé de loin tout ce que l'on pouvait s'imaginer, mais il manque les réponses. Pour la majorité des architectes, il n'existe soudain plus aucun désir de trouver une expression architecturale pour cette société moderne. Je dois dire que j'admire quelqu'un comme Foster, qui, ne regardant pas simplement vers le passé, vit et travaille vraiment dans notre époque. AP: Transmis du passé mais non point copié. Mais nous ne pensons pas qu'il faille feindre de ne pas voir le passé. La tendance postmoderne s'offre cependant au passé avec une certaine obséquiosité. On s'assujettit, mais on se glorifie au moyen du passé. Mais comment veux-tu établir un dialogue avec quelqu'un qui est au septième ciel lorsqu'il se tient devant le projet de Stirling pour la Villa Favorita? Tu ne veux pas savoir ce qui l'intéresse, il ne veut pas savoir ce qui t'intéresse, aucun dialogue ne peut s'établir. AdF: Tu le dis. Qu'ai-je à débattre avec quelqu'un comme Krier, lui qui fait paraître un volume de luxe pourvu d'élogieux commentaires sur les plus importants projets de Speer? Passons. Encore un mot sur la situation au Tessin. En son temps, il y avait un rapport très fort entre les architectes modernes du Tessin et nous. Leurs travaux avaient dans toute leur conception une claire similitude avec les nôtres. Mais si nous regardons aujourd'hui une banque de Snozzi à Monte Carasso, ou la poste de Galfetti à Bellinzone, la banque de Botta à Lugano, nous sentons une rupture. La maison du maire de Monte Carazzo (Snozzi) nous était si sympathique... il nous semblait qu'on avait trouvé là un pendant à l'architecture simple de ce village tessinois modeste en utilisant l'architecture moderne. Au contraire, le commentaire ironique en forme de portail doré de la «Caisse Raiffeisen» nous a paru tellement incompréhensible. AP: Je pense que chez Snozzi ce sont surtout des aspects sectoriels qui me dérangent. J'y vois une explication dialectique. Snozzi est manifestement une sorte de pur provocateur. Je le connais pourtant à peine. La banque de Monte Carasso me semble être une sorte d'hypothèse folle, folle pour nous, à mon avis, car, 93 III

lui, il peut certainement l'expliquer. Mais la façon dont Snozzi s'y est pris avec le lieu est certainement étonnante, et c'est là que je vois la tendance fondamentale. Ce qu'il a amené là me semble fort intéressant. AdF: Mais la poste de Bellinzone, où Galfetti apporte tout à coup l'urbanisme viennois au Tessin... AP: ...une étrange histoire... AdF: ...où l'on pourrait penser que l'on est en pleine opulence. AP: C'est que l'on y est naturellement aussi. AdF: Et puis tu vas te promener dans les vallées latérales et tu te trouves tout de suite parmi les gens les plus pauvres de notre pays. Est-ce que l'on ne s'est pas séparés à ce moment-là, les architectes tessinois et nous? Lorsque tu écoutes les gens: vos arguments, je les comprends, les moyens que vous employez, plus du tout. Pour cela, je pensais me demander si nous ne nous trouvions pas maintenant à nouveau dans une phase d'isolement, après avoir été dans une phase de «fraternisation». En effet, nous ne voulons pas du tout voir les choses de cette façon-là. AP: Oui... Par exemple en ce moment, en Algérie, devant les vieilles façades qui ont grandi à travers les siècles de façon improvisée, qui se sont groupées selon les lois du hasard, sans principe supérieur d'ordonnancement, on construit un écran. Eh oui ! une nouvelle façade avec des arcades, pour recouvrir l'ancienne, pour redonner un nouvel habit au tout. Tu vois là des files entières de rues, avec de nouvelles façades que l'on a placées devant les anciennes, indésirables. Aucun rapport entre l'ancien et le nouveau, rien d'autre qu'une façon de renier sa propre histoire. AdF: Une négation de la réalité, la déposition construite que cette société, dispersée, diffuse, ne produit plus une architecture utilisable, au point que l'on doive y construire ensuite un bouclier devant. Ce que tu décris là n'est rien de plus qu'un village de fausses façades, comme ceux du Prince Potemkine. En somme, à la longue, une telle chose est-elle encore supportable? AP: Immuablement, on donnera toujours la même mascarade. Je ne vois pas que notre façon de travailler soit mise en question par cela. AdF: Mon problème n'est pas absolument de mettre en question la capacité d'exister. Il s'agit pour moi du problème de la solitude, de l'absence d'un mouvement étendu sur un large front et qui seul rend possible la création de quelque chose de neuf. Le Corbusier disposait bien d'alliés qui tous mettaient quelque chose en mouvement avec lui. Est-ce qu'aujourd'hui il ne te manque pas parfois un nouvel aspect des choses qui sorte de tes quatre murs? Un peu comme l'on s'était retrouvé autrefois autour de la Charte d'Athènes. Ne regrettes-tu pas qu'il n'y ait plus aujourd'hui de perspective avec une vision plus large? Que chacun réduise si simplement tout en miettes devant lui? AP: Je crois que la quantité incroyable d'informations, de possibilités, à la fin, pourtant a simplement pour conséquence le chaos. Sur le plan politique et socio-politique, tu ressens un délayage, une désagrégation. Le rationaliste éprouve parmi les architectes ce qu'un idéologue éprouve parmi les socialistes ou les communistes, pour qui le développement actuel doit tout aussi bien être une pure déception. Multiplicité au lieu d'unicité des directions, voilà qui est peut-être typique de notre époque. AdF: Il manque les points de référence qui relient tout, ce que nous venons déjà de dire. Ni toi ni moi ne sommes capables de nommer des points de référence qui sont des liaisons dans la littérature, le théâtre, la peinture, la musique, l'architecture. AP: Cela se disperse et se diffuse toujours plus. Quand je me souviens de l'époque du Werkbund, de la façon dont l'on travaillait d'après le même scénario, tout est fini. Aujourd'hui, tu n'as point de partisans et d'adversaires d'une grande cause commune, mais un nombre incroyable de différents points de vues et d'opinions. AdF: C'est à peu près comme cela que Speer a décrit la situation dans ses mémoires. Des milliers d'avis, des milliers de réponses, une confusion totale, une pagaille totale. Et alors arrive le grand simplificateur qui sait comment on fait ça. Peut-être bien qu'une telle chose n'est plus possible en Europe après les expériences faites... ce n'est rien que mon opinion.

AP: Cette situation confuse, nous ne l'avons pas seulement en architecture, chacun vit toujours plus pour lui tout seul, les liens de dépendance deviennent de moins en moins importants. Il n'est pas si facile d'assimiler des images que nous avons devant nous et qui montrent qu'on a pu dissoudre l'école traditionnelle comme lieu de rassemblement et de rencontre au profit d'une information livrée directement chez soi. AdF: Des changements auxquels on ne veut justement pas croire. Ou auxquels on ne peut justement pas croire lorsqu'il s'agit d'architecture. Il n'y a aucun nouveau musée à Stuttgart et à Lugano, affirme Stirling. Ce qui m'intéresse, c'est la villa des grands bourgeois du siècle précédent, pense Schneebli. AP: Le mouvement postmoderne répand ainsi l’illusion que la connaissance du passé et la culture seraient très généralement ensemble dans le jeu. Et cela se vend corrélativement bien, non pas seulement sur le plan de ceux qui agissent, mais aussi sur celui des critiques. Cet apparent attachement au passé ne survient pas seulement là où les choses se sont originellement produites, mais il est aussi repris là où une telle chose ne s'est jamais produite, que ce soit au Japon, aux Philippines, ou je ne sais où encore. Revenons-y: si l'architecture moderne s'élargit naturellement dans une telle mesure, comme cela a été le cas après la Deuxième Guerre mondiale, il s'ensuit après coup une réelle saturation. AdF: Le dégoût pour l'architecture qui s'est construite entre les années 1 950 et 1 985 n'est peut-être pas un dégoût pour la modernité, justement celle-ci n'a en effet jamais pu être vraiment réalisée jusqu'à son accomplissement dans l'urbanisme. On en a plutôt assez de l'ouvrage décousu, de la qualité indigente. Là où l'architecture moderne est apparue dans une forme élaborée de façon unitaire, elle a déclenché les échos positifs de bien des gens. Songe à Halen. Cela réclame justement déjà un tout équilibré. Pourtant, à partir de là, comment résolvons-nous les choses? Nous affirmons que nous avons une société diffuse, dispersée, une époque de perte d'orientation. Celle-ci ne doit cependant pas disparaître derrière des façades du XIXe siècle, ni au contraire sombrer dans le chaos. AP: En tout cas, la société ne doit pas fuir devant ses propres problèmes, cela ne peut que mal tourner. Peut-être va-t-il surgir justement quelque chose dans le domaine de l'architecture de cette société confuse, qui donnera un contexte utilisable. AdF: Je crois que le grand chaos n'est peut-être supportable qu'à la condition qu'il y ait une grande densité, pense à New York. A vrai dire, je ne suis jamais allé là-bas, mais j'en ai connaissance par des photos. Tout y est rassemblé de façon si dense que cela paraît pourtant devenir un ensemble supportable. Là il n'y a pas ce désordre de pièces isolées et dépareillées, tel que nous le trouvons dans notre environnement direct. La densité géante peut être par conséquent un remède d'urbanisme. AP: Au moment du dénouement de la ville par des objets isolés, on est peut-être bien sorti de la qualité de la chambre individuelle, de l'habitation individuelle. Et c'est sans doute là que gisait le paralogisme. Aujourd'hui, on sait que les problèmes ne peuvent pas se résoudre de cette façon. On retourne à la «rue corridor» et l'on oublie simultanément la qualité de l'habitation individuelle. Bien sûr, dans des situations choisies, on pourrait peut-être bien vivre dans la ville du siècle précédent, mais tous les espaces-déchets que ce type de ville produit, on ne doit pas les oublier. Mais nous avons déjà vu cela lors de notre projet de Thalmatt II, là nous sommes déjà poussés à la limite, en ce qui concerne la densité. Certains lieux peuvent être encore utilisés pour de l'artisanat ou des bureaux, mais, pour de l'habitation, ils ne conviendraient plus. A ce sujet, Thalmatt II ne présente qu'une densité de 0,75. Mais une densité de 3, comme tu l'as peut-être dans le Centra Storico de Florence, elle ne fonctionne qu'après que tu en aies ôté les enfants, le trafic, et que tu aies rempli tout ce qui n'est pas dans le fond habitable avec des dépôts et des surfaces artisanales. Jusqu'ici nous ne sommes pas sortis de 0,75, comme cela a été dit. De plus, on a bien trop peu réfléchi à la façon dont on utilise vraiment ces habitations, à savoir si celles-ci montrent une qualité suffisante face aux exigences actuelles, pour sortir soudain de sa boîte la ville du XIXe comme une solution. Au sujet des problèmes de circulation, aucun débat. AdF: Nous avons maintenant peut-être la chance de montrer comment l'on pourrait résoudre pareille chose: à l'exemple des 150 habitations que nous allons construire à Florence. 93.V